En ces temps de gravité, sourions d’un conte licencieux bien dans l’esprit du Beau Siècle (âmes prudes, s'abstenir)…
LE MARI BORGNE
Un vieux borgne épousa une chambrière peu neuve.
Il la croyait pucelle : il appelle la nuit
Avec impatience, et d’avance il jouit
De penser qu’on mettra sa vigueur à l’épreuve.
La nuit vient, on se couche, et le premier déduit
Au crédule barbon donne la triste preuve
Que seigneur pucelage a délogé sans bruit.
Il trouve de la marge, en cet obscur réduit,
Autant que d’ordinaire en apporte une veuve.
Aussi confus qu’embarrassé,
Vis-à-vis sa moitié, le voilà qui la blâme.
- - Vous êtes, dit-il, une infâme ;
Si j’avais pu prévoir ce qui s’est là passé,
Vous n’auriez point été ma femme.
Je croyais prendre un ange ; ah ! qui l’aurait pensé
Que vous auriez péché d’une telle manière ?
Funeste événement ! triste sort ! jour de deuil
J’ai pour femme une aventurière !
Enfin il la tança pendant la nuit entière :
Des sermons du bonhomme on eût fait un recueil.
- - Je vous trouve plaisant, lui dit la chambrière ;
Vous prétendiez m’avoir entière,
Lorsqu’à vous il vous manque un œil !
- - Avec mes ennemis j’ai souffert ce dommage,
Reprit le marié plaintif et soupirant.
- - De mes amis, dit la fille en riant,
Le tort qu’on m’a fait est l’ouvrage.
Extrait de Le fond du sac, (recueil de contes galants en vers des XVIIe et XVIIIe siècles).
Illustration : J-F Schall, Rencontre amoureuse.
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