lundi 26 juin 2023

La belle Rosalie...

Catherine Rosalie Gérard Duthé (1748-1830), dite La Duthé, est une des courtisanes les plus célèbres du XVIIIe siècle, sorte de précurseur des "grandes « horizontales" de la Belle Époque. Danseuse assez médiocre du ballet de l’Opéra de Paris, elle n’était pas non plus très intelligente ; en revanche, sa beauté était remarquable (et remarquée). On dit parfois d’elle qu’elle serait à l’origine du stéréotype de la jolie blonde sotte, mais ce n’est pas l’opinion générale.

Reçue par les demoiselles de Verrières - courtisanes du temps de Louis XV, dont l’une, Marie, est l’arrière-grand-mère de George Sand –elle y croise le gotha. Très vite, elle prit de nombreux amants, parmi lesquels le futur Charles X et le financier Hocquart de Montfermeil, duquel elle reçoit un hôtel particulier. Sa réputation devient internationale, et les têtes couronnées se succèdent dans son lit (le roi Christian VII de Danemark, le duc de Chartres, le comte d’Artois, etc.)

Elle choisissait de riches amants, mais ayant le cœur tendre, faisait des exceptions. Ainsi pour ce jeune officier mousquetaire, qui lui adressa ces vers, comme il se doit très cavaliers :

"Duthé, tu cherches à plaire

À qui peut t’enrichir.

Moi qui suis mousquetaire,

Je n’ai rien à t’offrir.

Mais je sais faire usage

D’un moment de loisir,

Un homme, à mon âge

Ne paye qu’en plaisir."

On dit que touchée au cœur, la belle Rosalie céda.

On raconte aussi que le banquier Perregaux, son plus grand admirateur, se serait suicidé en contemplant son portrait peint par Danloux en 1792 (ci-dessous), qui la montre accrochant un cadre au-dessus d’un sofa.

Car la belle Duthé, qui n’était guère prude, fut un modèle recherché par les peintres : Claude Jean-Baptiste Hoin (Musée de Boston), François-Hubert Drouais, Périn-Salbreux. Fasciné, ce dernier fit de la belle pas moins de cinq portraits, dont un nu destiné à la salle de bain du comte d’Artois à Bagatelle (également ci-dessous), et un autre, où elle apparaît cheveux défaits, fort engageante, allongée sur un lit (Musée de Reims). Le plus beau des cinq, à mon sens, est celui de 1775 (elle a alors 27 ans) inscrit dans un ovale (Musée de Tours), où elle apparaît dans tout l’éclat de sa jeunesse.

La belle Rosalie mourut en 1830, à 81 ans, et depuis se repose au Père-Lachaise d’une vie fort agitée, dont on fit bien sûr un roman (Étienne-Léon de Lamothe-Langon, Souvenirs de Mademoiselle Duthé, Paris, Louis Michaud).






 


mardi 20 juin 2023

Mélancolie

"Que je suis loin, grand Dieu, de cette douce mélancolie, où l’âme attendrie perd le sentiment douloureux de ses peines !"

Honoré Gabriel Riqueti de Mirabeau, Le libertin de qualité ou les confidences d’un prisonnier au château de Vincennes, 1784.

 

Illustration : la douce mélancolie, Joseph-Marie Vien, 1756 (Cleveland Museum of Art)

 


 

vendredi 16 juin 2023

Le bon sauvage

 

"— En effet, Madame ! Ce sont des vêtements commodes pour le voyage, fabriqués par les femmes de la tribu des Hurons, qui sont de fidèles alliés des Français contre les Anglais !

Cela me plait ! s’exclama Maximilian. En Bavière, nous apprécions les Français, qui sont aussi nos alliés, et nous n’aimons guère l’Anglais ! Nous n’avons point oublié la bataille de Blindheim, où Bavarois et Français furent traitreusement défaits par c
e maudit Marlborough! Je tire de vos propos que puisque les amis de nos amis sont nos amis, Bavarois et Hurons sont donc alliés ! La chose est plaisante, et elle me convient tout-à-fait !"

Extrait de La demoiselle de Rosling, Éditions du 38 Collection Incursions Temporelles.

 Illustration : La Veuve indienne, aussi appelé La Veuve d'un chef indien veillant les armes de son mari défunt, tableau de 1783-84 du peintre Britannique Joseph Wright, dit Joseph Wright of Derby (1734-1797) conservé au Derby Museum and Art Gallery.

Ce tableau illustre le mythe du bon sauvage, d’autant plus répandu en Angleterre que les Américains d'origine européenne s’étaient révoltés contre la Couronne. La malheureuse femme se lamente au pied d’un arbre mort supportant les armes et divers objets ayant appartenu à son mari. Selon les spécialistes, le peintre s’est manifestement inspiré d’authentiques accessoires amérindiens. Le décor est dramatique, la mer déchainée sous l’orage. À droite, on peut même voir un volcan en éruption ! Joseph Wright avait assisté à une éruption du Vésuve lors d’un voyage à Naples ; il utilisa ce souvenir dans plusieurs tableaux.

 


 

 



lundi 12 juin 2023

Armide et Renaud


Armide (Armida) est un personnage de La Jérusalem délivrée (chant 16) du poète italien Le Tasse (1544–1595). Cette magicienne musulmane tombe amoureuse du roi Renaud (Rinaldo), bien qu’il soit son ennemi, puisqu’il est en croisade dans son pays (nous sommes au XIe siècle). Armide est invisible, mais Renaud est fasciné par son mystère qui fait d’elle une femme idéale. Quand elle lui apparaît, le mystère s’efface, et l’amour de Renaud avec. Armide tente en vain de le garder par ses charmes, et pour gagner son amour lui donne l’anneau d’Orphée qu’elle porte au doigt. Redevenue simple femme, Armide est destinée à mourir au premier baiser du porteur de l’anneau…

Ce poème tragique a inspiré de nombreux peintres du XVIIIe siècle : Boucher, Van Loo, Tiepolo, Fragonard, Coypel… (et d’autres avant eux, tels Poussin ou Van Dyck…), de même que nombre de compositeurs. La malheureuse Armide, bien oubliée aujourd’hui, était célèbre ; au XIXe siècle, deux bateaux de la Marine française seront même baptisés de ce nom ! Au XXe siècle, Jean Cocteau écrira une tragédie en alexandrins, Renaud et Armide, inspirée du poème, qu’il mettra lui-même en scène à la Comédie-Française en 1943.

J’ai choisi en illustration une toile de 1771 d’Angelica Kauffmann (Coire 1741-Rome 1807). Peu connue du grand public en France, cette Autrichienne voyageuse, qui parlait allemand, italien, français et anglais, fut avec Élizabeth Vigée Lebrun "l’autre" grande portraitiste du XVIIIe siècle. Ses portraits, marqués à la fois par le néoclassicisme et l’Empfindsamkeit (le sentimentalisme, en allemand), ont eu partout en Europe un succès considérable, si bien qu’elle amassa une énorme fortune. Plus douée en peinture qu’en amour, Angelica fut victime en 1767 d’une escroquerie au mariage : l’époux se sauva trois mois après les noces en emportant sa fortune ! Mais qu’on se rassure : à la différence d’Armide, elle finira par trouver l’amour, en épousant à Londres, à 40 ans, le peintre italien Antonio Zucchi (1726-1795).

 


 


jeudi 8 juin 2023

Rivalité à l'opéra...

La rivalité entre les demoiselles de l’opéra Guimard et Dervieux est l’une des plus fameuses du XVIIIe siècle. Elles avaient pour points communs le talent, ainsi que la faculté de collectionner des amants riches et prestigieux (l’Académie Royale de Musique était un vivier où les aristocrates se fournissaient en jolies maîtresses).

Intelligente et pleine d’esprit, Marie-Madeleine Guimard (1743-1816), devenue plus tard Mme Despréaux, n’était pas réputée pour sa beauté, même si elle possédait "la plus jolie gorge du monde". Elle était jugée trop maigre, si bien qu’on la surnommait l’araignée. Néanmoins, son expressivité et sa grâce sur scène étaient incomparables. Elle donnait pour ses amis, dans sa maison de campagne de Pantin, des spectacles grivois, dont des pièces du sulfureux Jean-Joseph Vadé, créateur du "style poissard" (j’y reviendrai…)

Tout allait bien pour la "Terpsichore du temps", quand en 1765 Anne-Victoire Dervieux (1752-1829), âgée de seulement 13 ans, surgit sur la scène de l’opéra. L’apparition de cette toute jeune fille sonna le glas de la domination absolue de la Guimard. La guerre entre les deux était déclarée, pour le plus grand plaisir du Tout-Paris. La Dervieux, fille d’une blanchisseuse et jeune amante du prince de Conti, puis du conte de Stainville, atteignit le sommet de sa célébrité en paraissant nue sous un léger vêtement de taffetas couleur chair. Elle travailla sa voix, et devint une remarquable chanteuse. Amante des frères de Louis XVI, sa rivalité avec la Guimard ne les empêchera pas de partager un temps le même amant, le prince de Soubise. C’est pourtant elle qui mettra fin à la guerre, en se retirant dès l’âge de 22 ans pour se consacrer à sa carrière de courtisane.

Parmi les pamphlets qui circulèrent au cours de cette guerre, il me semble que c’est Marie-Madeleine Guimard qui fit l’objet des plus féroces. Quand elle est nommée trésorière de l’opéra, aussitôt en court un assez salé :

"C’est Guimard qu’on vient d’élire

Trésorière à l’Opéra

On a raison, car elle a

La plus grande tirelir"

Autre épigramme fameux :

"Guimard en tout n'est qu'artifice

Et par dedans et par dehors.

Otez-lui le fard et le vice

Elle n'a plus âme, ni corps. (…)

Sa cuisse est flasque et héronnière,

Jambe taillée en cebalas,

Tout son corps n'est qu'une salière..."

(Je n’ai pas trouvé d’explication au mot "cebalas" ; si quelqu’un a une idée…)

Mais la Révolution est proche. Adieu fortunes, hôtels particuliers et attelages rutilants. La Guimard sauvera de peu sa tête sous la Terreur, et les deux femmes, célébrités d’une époque engloutie, mourront oubliées.

Illustration : Mlle Guimard en Terpsichore, vers 1773-75, par Jacques-Louis David (1748-1825). Collection particulière.

 


 


samedi 3 juin 2023

L'innocence violée

Ovide rapporte dans ses Métamorphoses (VI, 110-111), comment Jupiter, s’étant transformé en satyre, surprit la nymphe Antiope, fille du roi thébain Nicteus ; de cette rencontre naquirent les jumeaux Amphion et Zéthos.

Cette histoire, qui oppose la laide sauvagerie dun satyre à la beauté fragile et paisible d’une nymphe, avait naturellement de quoi enchanter les peintres, qui ne se prièrent pas de la représenter depuis la Renaissance ; par exemple, Van Dyk, Hendrick Goltzius ou Le Titien. Les artistes du XVIIIe siècle firent bien entendu un grand usage du sujet. Parmi les toiles les plus célèbres figurent celles de Watteau (vers 1715-16, Musée du Louvre), de Van Loo (1752, Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg), Bénigne Gagneraux (1756-1795) conservée à Rome à la Galerie Borghèse. J’ajouterai David (1771, Musée de Sens). Tous montrent la même scène, le satyre découvrant la nymphe Antiope endormie.

Dans les quatre représentations ci-dessous, le satyre (Jupiter) exprime sa surprise en découvrant la beauté de la nymphe. Bénigne Gagneraux a jugé bon d’ajouter un Cupidon à la scène, alors que, franchement, l’amour n’a pas grand-chose à faire ici.

Sur chaque toile, Antiope est montrée nue, comme il sied à une nymphe, une nudité juste atténuée par un mince voile de pudeur. Seul Watteau ne lui accorde pas ce voile minimal, accentuant ainsi le caractère vulnérable de la jeune femme. Dormant sur le côté, tournée vers le spectateur du tableau, l’Antiope de Watteau ne peut voir le monstre penché sur elle. La tête enfouie dans son coude, elle tient ses jambes fléchies, protégeant une intimité que le prédateur va dans un instant souiller. L’éclairage de la toile fait irradier le corps d’Antiope, qui apparait comme suspendue dans ce décor sombre et dramatique. Le génial Watteau nous donne à voir une image terrible et intemporelle de l’innocence violée.

 





 

 

jeudi 1 juin 2023

La vallée des trois serpents

"... Mais cette triple vallée bénie est l’inverse du Paradis du Bouddha : si aucune félicité n’y règne, c’est que les sorcières Ambition et Cupidité tiennent les trois rois en leur pouvoir. Et dans ce qui pourrait tout aussi bien s’appeler la vallée des Trois Serpents, beaucoup de leurs dévots intriguent…"

                           Extrait de Le yak aux cornes d'or, de Bernard Grandjean.  

 

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À l'horizon...

Les trois premiers romans de votre serviteur publiés par O barra O Edizioni ayant bien marché tant sur le net qu'en librairie, l'...