jeudi 8 juin 2023

Rivalité à l'opéra...

La rivalité entre les demoiselles de l’opéra Guimard et Dervieux est l’une des plus fameuses du XVIIIe siècle. Elles avaient pour points communs le talent, ainsi que la faculté de collectionner des amants riches et prestigieux (l’Académie Royale de Musique était un vivier où les aristocrates se fournissaient en jolies maîtresses).

Intelligente et pleine d’esprit, Marie-Madeleine Guimard (1743-1816), devenue plus tard Mme Despréaux, n’était pas réputée pour sa beauté, même si elle possédait "la plus jolie gorge du monde". Elle était jugée trop maigre, si bien qu’on la surnommait l’araignée. Néanmoins, son expressivité et sa grâce sur scène étaient incomparables. Elle donnait pour ses amis, dans sa maison de campagne de Pantin, des spectacles grivois, dont des pièces du sulfureux Jean-Joseph Vadé, créateur du "style poissard" (j’y reviendrai…)

Tout allait bien pour la "Terpsichore du temps", quand en 1765 Anne-Victoire Dervieux (1752-1829), âgée de seulement 13 ans, surgit sur la scène de l’opéra. L’apparition de cette toute jeune fille sonna le glas de la domination absolue de la Guimard. La guerre entre les deux était déclarée, pour le plus grand plaisir du Tout-Paris. La Dervieux, fille d’une blanchisseuse et jeune amante du prince de Conti, puis du conte de Stainville, atteignit le sommet de sa célébrité en paraissant nue sous un léger vêtement de taffetas couleur chair. Elle travailla sa voix, et devint une remarquable chanteuse. Amante des frères de Louis XVI, sa rivalité avec la Guimard ne les empêchera pas de partager un temps le même amant, le prince de Soubise. C’est pourtant elle qui mettra fin à la guerre, en se retirant dès l’âge de 22 ans pour se consacrer à sa carrière de courtisane.

Parmi les pamphlets qui circulèrent au cours de cette guerre, il me semble que c’est Marie-Madeleine Guimard qui fit l’objet des plus féroces. Quand elle est nommée trésorière de l’opéra, aussitôt en court un assez salé :

"C’est Guimard qu’on vient d’élire

Trésorière à l’Opéra

On a raison, car elle a

La plus grande tirelir"

Autre épigramme fameux :

"Guimard en tout n'est qu'artifice

Et par dedans et par dehors.

Otez-lui le fard et le vice

Elle n'a plus âme, ni corps. (…)

Sa cuisse est flasque et héronnière,

Jambe taillée en cebalas,

Tout son corps n'est qu'une salière..."

(Je n’ai pas trouvé d’explication au mot "cebalas" ; si quelqu’un a une idée…)

Mais la Révolution est proche. Adieu fortunes, hôtels particuliers et attelages rutilants. La Guimard sauvera de peu sa tête sous la Terreur, et les deux femmes, célébrités d’une époque engloutie, mourront oubliées.

Illustration : Mlle Guimard en Terpsichore, vers 1773-75, par Jacques-Louis David (1748-1825). Collection particulière.

 


 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Séparation.

« Comme on s'est pris sans s'aimer, on se sépare sans se haïr ; et on retire du moins du faible goût que l'on s'est mutuelle...