lundi 29 mai 2023

Pauvre Junon !

Il faut bien reconnaître que Junon, déesse guerrière et matrone épanouie, n’est pas la plus sexy des beautés de l’Olympe. Jupiter, son mari (qui est aussi son frère), est un cavaleur qui ne lui accorde guère l’attention qu’elle mérite. Pour le séduire, la malheureuse Junon en est réduite à demander à Vénus de lui prêter sa ceinture magique, qui donne à la femme qui la porte un pouvoir de séduction irrésistible. L’histoire est rapportée par Homère dans l’Iliade :

"Donne-moi ce charme amoureux (demande Junon), cet attrait qui te soumet tous les immortels et les hommes mortels…" Vénus, au gracieux sourire, lui répond : "Il n’est ni possible ni convenable que je rejette ta demande, car tu dors dans les bras du tout-puissant Jupiter." À ces mots, elle détache de son sein sa ceinture brodée, d’un merveilleux travail ; toutes les séductions s’y trouvaient réunies, et l’amour, et le désir, et le doux entretien qui charme et dérobe le cœur même des plus sages.."

Notons au passage que la symbolique de la ceinture était très importante dans l’Antiquité. Les jeunes romaines portaient, bas sur les hanches, une ceinture appelée zona (tiens, tiens…), que le mari dénouait le soir des noces. Zonam solvere, dénouer sa ceinture, signifiait pour une fille perdre sa virginité.

Mais revenons-en à Junon. La scène de la ceinture de Vénus a souvent été représentée par les peintres du XVIIIe siècle ; mais d’une manière générale, ils n’étaient guère attirés par les charmes de Junon, pourtant "la déesse aux grands yeux". Une telle inégalité de traitement choqua Frédéric-Auguste 1er de Saxe. En 1778, celui-ci s’était fait aménager un parc à l’anglaise (la nouvelle mode) au château de Pillnitz, sa résidence d’été proche de Dresde. Il y avait fait construire un « pavillon anglais », dominé par une vaste chambre depuis laquelle, afin de réparer l’injustice faite à Junon, il pouvait à loisir en contempler la statue, qu’il avait spécialement fait ériger.

Ce pavillon anglais était équipé d’un lit à 3 places, ce qui laisse les historiens perplexes (on se demande bien pourquoi tant l’explication paraît évidente). Cela prouve que Junon, injustement négligée, est capable, même sans la ceinture de Vénus, de susciter des idées très frivoles dans l’esprit des hommes !

Illustrations :

-       Junon empruntant la ceinture de Venus, par Élisabeth Vigée-Lebrun, 1781. Collection privée.

-       Pavillon anglais et buste de Junon dans le parc de Pillnitz (photos de l’auteur).

 





 

 

jeudi 25 mai 2023

Fanfan la Tulipe !

Les surnoms ont toujours été très usités dans les campagnes françaises, où beaucoup de gens portaient le même nom de famille. Ils restent courants encore aujourd’hui dans beaucoup d’endroits, souvent transmis de génération en génération. Au XVIIIe siècle, ils étaient monnaie courante.
Si les surnoms sont rarement mentionnés sur les registres d’état civil du XVIIIe siècle, ils pullulent sur les rôles militaires. La quasi-totalité des soldats français en portait un, dument consigné dans les registres. Qui ne connaît Fanfan la Tulipe !
Parfois, ces surnoms n’étaient que le nom du soldat, plus ou moins déformé, ou son prénom précédé du mot Saint : ainsi cet André Chaine, enrôlé en 1748 à l’âge de de 27 ans, noté sur le rôle du régiment "dit Saint André", ou Louis Chopitel, enrôlé en 1757 à 16 ans, est dit Saint Louis. Un prénommé François peut aussi devenir un "dit La France".
Souvent, le surnom évoque des qualités morales, un trait de caractère ou de comportement ; on trouve sur les rôles militaires des ribambelles de Laforce, Lajoye, Bienaimé, La Bonté, Sansregret, Sanschagrin, Belhumeur, Francœur, Ladouceur, La Tendresse, Bienvenu, Jolicœur, etc. Certains surnoms rappellent une origine (Comtois, Bourguignon…), parfois un trait physique (Blondin, La Jeunesse…), le monde végétal (Lafleur, La Tulipe, Laviolette, la Branche, la Feuillade, Fleur d’épine, Belle Rose…) ou même le décor d’une existence (Beauprés, La Montagne, Desjardins…)
Certains surnoms sont pour moi énigmatiques, comme Beauséjour, qui revient souvent. J’aime beaucoup les Prêtapartir, les Vadeboncœur, les Prestaboire ou encore ce soldat humoristiquement surnommé Turenne !
Illustration : Gina Lollobrigida et Gérard Philippe dans le film Fanfan la Tulipe (Christian-Jacque, sortie en 1952).
 

 

 

dimanche 21 mai 2023

Ces terribles bacchantes...

La bacchante est un personnage que l’on retrouve sous le pinceau de nombreux peintres du XVIIIe siècle. Il faut dire qu’elle a tout pour plaire à son époque : c’est une jeune femme joyeuse, belle, nue et assez éméchée, dansant au milieu des bois. Le terme est moins positif dans la vie courante : « On appelle figurément Bacchante, une femme emportée et furieuse (Dictionnaire de l'Académie française, 1762).

Les peintres du Siècle des Lumières aiment montrer la bacchante endormie, victime de ses excès. C’est le cas sur cette toile de 1765 attribuée à Fragonard (Musée du Louvre). La jeune femme, vue de face, baignée d’une douce lumière, a été vaincue par le sommeil ; à côté d’elle git son tambourin enrubanné de vigne. Même mésaventure pour une bacchante de Boucher de 1723. À côté d’elle, son tambourin et un vase sans doute vidé de son vin. Elle tient encore à la main son thyrse, sceptre recouvert de lierre et de vigne, décoré d’un nœud de ruban et surmonté d'une pomme de pin, attribut de Bacchus et élément incontournable de la danse des bacchantes.

La bacchante endormie de Lagrenée semble, elle, plus calme. Alanguie sur de splendides étoffes sur lesquelles s’étale sa longue chevelure blonde, elle semble sourire en rêvant.

À l’opposé de cela, les cimaises des musées comptent un très grand nombre de bacchantes ivres, déchaînées, taquinant les satyres et même les chèvres. Quelques fois même, le peintre les montre sombrant dans l’orgie. C’est le cas sur cette petite peinture anonyme, où l’on voit une jeune bacchante enlevée, et de quelle façon, par deux satyres musculeux, tandis qu’une autre bacchante répand un onctueux parfum sur le corps offert de sa compagne. Comble de l’horreur, la jeune fêtarde semble trouver un certain plaisir à la situation…

 

 

 

 

 

 


 

mercredi 17 mai 2023

La scomparsa del manoscritto tibetano

J'ai signé avec l'éditeur italien O barra O Edizioni pour trois romans (dans un premier temps). Le premier, la regina nepalese, est sorti il y a peu. Le deuxième, La scomparsa del manoscritto tibetano (l'affaire du manuscrit tibétain, de la série des "Betty Bloch"), est annoncé en sortie prochaine. Il présente la particularité de se dérouler en partie à Strasbourg. Il est épuisé en français, mais les collectionneurs d'alsatiques peuvent peut-être encore trouver la version papier d'occasion sur Amazon.

 


 

 

 

mardi 16 mai 2023

Comme des papillons...

"Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,

Comme des papillons, errent en flamboyant,

Décors frais et légers éclairés par des lustres

Qui versent la folie à ce bal tournoyant…"

        (Baudelaire, Spleen et idéal, VI, Les Phares, extrait)

 

Le génie de Watteau fut longtemps dédaigné en France. Ses toiles y étaient rares, le Louvre n’en possédant qu’une seule "l’embarquement pour Cythère". Mais à partir de 1830, popularisé par les gravures, il devint un peintre très à la mode. Baudelaire, critique d’art remarquable, y a contribué !

Illustration : Jean-Antoine Watteau (1684 - 1721), les plaisirs du bal (vers 1715-17), Dulwich Picture Gallery, Londres.


 


samedi 13 mai 2023

Salem et Pompadour

Fondée en 1134, l’abbaye cistercienne de Salem, proche du lac de Constance, était une des plus puissantes du sud de l’actuelle Allemagne. Ravagée par un incendie en 1697, elle a été reconstruite en cumulant des caractères médiévaux, baroques, rococo… Elle n’est plus occupée par les moines depuis sa sécularisation par Napoléon Ier en 1802, qui en fit cadeau au margrave de Bade en récompense de leur soutien. Le fils du Grand-Duc de Bade récemment décédé (neveu du prince Philippe d’Édimbourg), y avait un appartement que la famille a conservé.

Cette abbaye est vaste comme un village, et comporte, outre un internat célèbre, quelques curiosités artistiques. Ainsi l’autel de Bernhard Strigel (1461-1528), sauvé de l’incendie de 1697, qui présente une Vierge à l’enfant qui est la première scène nocturne de l’art occidental (on garde la trace d’une autre scène nocturne un peu plus ancienne, peinte aux Pays-Bas, mais disparue).

Parmi les nombreuses curiosités de Salem, citons la salle impériale (qui aurait plu à Jean Cocteau, j’y reviendrai), l’église, de style gothique, mais complètement redécorée au XVIIIe siècle, notamment par de magnifiques groupes d’albâtre (j’y reviendrai aussi…), ou encore la bibliothèque. D’abord gothique, celle-ci fut reconstruite en style rococo après l’incendie. Elle présente une allure insensée : des étagères anciennes coexistent avec d’autres, modernes, de style IKEA. Les livres qui les occupent sont des dépôts de diverses bibliothèques allemandes, les moines ayant emporté les leurs lors de la sécularisation. Parmi ces derniers, figurait une collection originale : lors du décès en 1764 de Madame de Pompadour, l’abbé de Salem racheta la bibliothèque de la défunte, et la rapatria dans son abbaye…

Illustrations :

-       Une vue du bâtiment principal (180 m de long !)

-       Une vue de l’état actuel de la bibliothèque. Les galeries étaient à l’origine soutenues par de lourds piliers gothiques, mais les architectes du XVIIIe siècle préférèrent alléger le décor en les suspendant au plafond.

 



 

 


jeudi 11 mai 2023

La reine népalaise à Turin...

Heureux de découvrir que mon roman La Regina Nepalese sera présent, avec toutes les nouveautés de O barra O Edizioni, au salon du livre de Turin (18 au 22 mai).

 


 


lundi 8 mai 2023

Fêtes vénitiennes

Les Fêtes vénitiennes est une l’huile sur toile d’Antoine Watteau de 1719. L’œuvre est conservée à la National Gallery d’Édimbourg.

Pour que la fête soit complète, Watteau a peuplé le tableau de ses amis :

Au premier plan, un couple face à face danse le menuet. L’homme au chapeau noir à gauche, en habit de comédien italien, est Nicolas Vleughels (1668-1737), ami proche de Watteau, un peintre célèbre qui passa une bonne partie de sa vie en Italie (Rome, Venise, Modène...).

La danseuse au centre, en belle robe nacrée, est l'actrice Christine Charlotte Desmares, maîtresse du duc Philippe d’Orleans ; ils eurent ensemble une fille, Angélique de Froissy (1700-1785), légitimée en 1722 par le duc devenu Régent (il mourra l’année suivante). Angélique épousa un comte de Ségur ; elle est l’arrière-arrière-grand-mère de la comtesse de Ségur (1799-1874).

Parmi les personnages derrière le couple, dont beaucoup sont occupés à flirter, Watteau s’est représenté lui-même, à droite en habit bleu clair, assis et jouant de la cornemuse (ou musette), à l’époque un instrument à forte connotation sexuelle. Une statue au déhanchement suggestif domine la fontaine en fond. Les rehauts clairs de son corps renvoient à la robe de Christine Charlotte Desmares et à d’autres personnages, dans un subtil travail de lumières, de matières et de couleurs. Pour une belle fête, c’était une belle fête…

Attardons-nous un instant sur Christine Charlotte Desmares, dite la Desmares. Née à Copenhague en 1682, elle mourut en 1753. Cette comédienne, que l’on surnommait affectueusement Lolotte, était la nièce et l’élève de la Champmeslé, célèbre tragédienne du XVIIe siècle, amante de Racine et merveilleuse interprète de ses tragédies. Lolotte avait donc de qui tenir ! Elle finira sa vie en compagnie d’un banquier suisse. La "Folie Desmares", petit château de Châtillon que lui offrit le banquier et où elle habita, existe toujours. Je joins son portrait, dans une belle robe de théâtre, par Jean-Baptiste Santerre (1651-1717). L’œuvre (collection privée) est intitulée "la jeune femme au billet doux", mais les experts sont formels : c’est elle, c’est bien Lolotte…

 



 


vendredi 5 mai 2023

Bhrikuti est arrivée...

Reçu de mon éditeur italien mes exemplaires d’auteur. C’est un joli livre, et c’est charmant de voir la reine Bhrikuti s’exprimer en italien. Elle est maligne, la petite Népalaise !

 


 


Avant, après...

William Hogarth (1697-1764) est un peintre et graveur anglais d’importance majeure. Il fut également mécène, s’intéressant aux problèmes sociaux de son époque. Il excella dans la peinture d’Histoire et le peinture religieuse, mais il n’hésitait pas à aborder le mode humoristique. Il fut d’ailleurs l’un des membres fondateurs de la "Sublime Society of Steaks", composée de peintres, comédiens, acteurs, etc. amateurs de steaks grillés.

Hogarth est l’auteur de plusieurs séries fameuses, telles que le mariage à la mode, A Harlot's Progress (la carrière d’une prostituée), ou The Rake’s Progress (la Carrière d’un libertin), des "pièces morales" qui le feront connaître dans toute l’Europe. Igor Stravinsky s’inspirera de son Rake’s Progress pour composer son célèbre opéra éponyme (1951).

Hogath s’amusa aussi à peindre en 1730-31 la célèbre paire comique "avant-après" (Tate Gallery), qu’il convertit également en gravures en 1736. Elle montre un couple avant et après la "faute", dans un décor forestier en écho aux fêtes galantes de Watteau. La scène "avant" montre la jeune femme résistant aux avances empressées de son amoureux. Mais les pommes qui tombent de son tablier préfigurent une chute prochaine… "Après", le désordre des vêtements des deux protagonistes ouvre des perspectives indiscrètes sur leurs intimités respectives ; tous deux présentent des visages plus qu’embarrassés, comme s’ils avaient été dépassés par leurs actes…
Hogarth en peindra une seconde version, en intérieur cette fois. Il s’en inspirera pour les gravures, également situées dans une chambre. La table de toilette renversée et le miroir brisé "après" illustrent la perte de la vertu et de l’innocence. La femme se désole tandis que son compagnon remonte sa culotte. Un livre du philosophe grec antique Aristote git par terre, dont le titre est "Omne Animal Post Coitum Triste" (tout être vivant est triste après le coït). Notons que cette célèbre citation du médecin Galien (129-201) est ici tronquée : la phrase se poursuit par "…præter gallum mulieremque", à l’exception du coq et de la femme.
No comment.
 
Avant
 
Après
 

Avant
 
Après
 

 

Sur un cheveu...

Extrait du Journal des Dames pour l’année 1761 : "Sur un cheveu ; par l’auteur de la fameuse églogue, au déclin d’...