mercredi 4 octobre 2023

L'escarpolette

L’escarpolette - Dictionnaire de l’Académie, 1762 : "Espèce de siège suspendu par des cordes, sur lequel on se met pour être poussé et repoussé dans l'air. On dit qu'Un homme a la tête à l'escarpolette, pour dire, qu'il est étourdi."
L’escarpolette est un sujet classique de la peinture au XVIIIe siècle. Les plus grands artistes s’y sont essayés, parfois plusieurs fois. Dans certains cas, la représentation est sage : l’œuvre se contente d’illustrer d’innocentes scènes d’été, par exemple Watteau, avec cette escarpolette de 1712, conservée à la Galerie Nationale de Finlande, ou Nicolas Lancret (1735, Victoria and Albert Museum). Dans les deux cas, un couple est représenté : madame se balance, et monsieur pousse, ou comme dans le second cas, tire sur une astucieuse cordelette qui évite d’avoir à poser les mains sur les hanches de la personne qui se balance.
Parfois, le jeu de l’escarpolette tient de la haute voltige. C’est le cas dans une toile de Hubert Robert de 1777, l’une des six peintes par l’artiste pour la salle de bain du comte d’Artois à Bagatelle. Dans l’allée d’un parc, une jeune fille se balance à une hauteur vertigineuse (on se demande comment elle a pu grimper là-haut), sous le regard admiratif de ses amies et d’un Hercule de pierre qui s’y connait en exploits sportifs. Même un chien paraît fasciné.
On pourrait multiplier les exemples, et les peintres, jusqu’à Goya inclus. Mais la plus célèbre toile du genre est bien entendu "Les hasards heureux de l’escarpolette", de Fragonard (1767, Wallace Collection de Londres).
Il semble qu’il s’agisse d’une commande passée par le baron de Saint-Julien. Celui-ci s’était d’abord adressé au peintre Doyen (1726-1806), qui venait de triompher au salon de 1766 avec une peinture religieuse. Doyen a laissé le récit de cette commande :
"Je désirerais […] que vous peignissiez Madame (en me montrant sa maîtresse) sur une escarpolette qu'un évêque mettrait en branle".
 Après que Doyen, offusqué, eut refusé, le baron de Saint-Julien s'adressa à Fragonard, qui le convainquit de renoncer à l’évêque par souci de sa carrière, et d’y substituer le mari cocu, tandis que l’amant (le baron de Saint-Julien, lui-même) serait aux premières loges pour contempler les jambes de la belle, voire plus… La toile est admirablement composée : le soleil tombe sur le rose de la robe et le blanc nuageux du jupon de la belle, lumineuse dans un écrin de verdure. Le tableau fourmille de détails symboliques, comme ce putto en haut à gauche qui fait signe à ceux d’en bas à droite de se taire ; car bien sûr, le mari béat ignore la présence de l’amant caché dans les buis, qui tombe à la renverse de saisissement devant le spectacle qui lui est offert… Mais le détail le plus charmant, c’est bien cet escarpin qui s’envole, libre comme le vent…
 




 

 

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