"La regina nepalese" en vente dans les librairies italiennes le 28 avril.
Les mythes antiques étaient une source majeure d’inspiration pour les peintres du XVIIIe siècle. Ils présentaient l’avantage de réunir tous les ingrédients d’une toile séduisante pour leurs contemporains : citations de la culture classique, décors bucoliques, étoffes belles comme des ciels, corps de femmes superbes… L’histoire d’Érigone était un de ces mythes alors à la mode et parfaitement oubliés aujourd’hui.
Érigone était la fille de l'Athénien Icarios, auquel Dionysos (Bacchus) avait enseigné l'art de la culture de la vigne. En remerciement, Icarios avait introduit son culte dans la région. Pour séduire la belle Érigone, insensible à son amour, Dionysos se transforma… en une grappe de raisin. Et la ruse fonctionna ! Hélas, l’histoire se termine mal. Icarios fut assassiné par des bergers ivres, et la malheureuse Érigone se pendit au-dessus de la tombe de son père (tandis que même sa fidèle chienne Maéra, désespérée, sautait du haut d’une falaise). Dionysos, furieux, se vengea cruellement d’Athènes, et sa colère ne se calma que lorsqu’un culte à Érigone et Icarios y fut instauré.
Plusieurs peintres, dont François Boucher en 1745 (ci-dessous "Bacchus et Érigone", Londres, Wallace Collection), ont représenté la belle Érigone pressant dans sa main la superbe grappe de raison où se cachait le rusé Dionysos. Au contact du dieu, elle se pâme et tombe dans les bras de son amie (que Boucher ne semble avoir représentée là que pour équilibrer la composition). La gravure que Claude Augustin Duflos (1700-1786) fit de cette toile porte en pied la conclusion cynique qu’au XVIIIe siècle on tira de l’histoire :
"À Bacchus comme amant Érigone inflexible,
Ne répond que par des mépris.
Mais en se transformant ce Dieu la rend sensible,
Et de ses soins reçoit le prix.
En amour comme en guerre il faut de l'artifice.
De l'objet de ses feux qui veut être vainqueur,
Doit épouser ses gouts et flatter son caprice,
C'est là le vrai chemin du cœur"
Notons que l’on peut toujours contempler la belle Érigone en levant les yeux vers le ciel nocturne : Jupiter l’a transformée en une étoile de la constellation de la Vierge ; la fidèle Maéra fut quant à elle transformée en l'étoile de Procyon, la plus brillante de la constellation du Petit Chien.
Parmi les innombrables châteaux, demeures et édifices remarquables que le XVIIIe siècle a légués en Europe, il en est un qui mérite une mention particulière, puisqu’il s’agit… d’un chalet suisse !
Le Grand Chalet de Rossinière, situé sur le territoire de la commune vaudoise de la Rossinière, est non seulement le plus vaste de Suisse, mais passe pour la plus grande maison en bois d’Europe. Après être demeuré un siècle dans la famille Hanchoz, il fut transformé en hôtel dans le courant du XIXe siècle, accueillant des hôtes aussi célèbres que Victor Hugo ou Gambetta. De nombreuses personnalités y séjournèrent. En 1946, Jean Delannoy y tourna La Symphonie pastorale (d’après le roman d’André Gide paru en 1919), avec Michèle Morgan. En 1977, le chalet fut acheté par le peintre Balthus (décédé en 2001) et sa famille y réside toujours.
Le Grand Chalet de Rossinière a été construit entre 1752 et 1756 par Jean David Henchoz, fils de paysan, avocat et notaire, qui décora la façade de différents textes, parmi lesquels des vers de la poétesse française Antoinette des Houlières (1638-1694). Cette femme de lettres, qui fréquenta les salons de Mme de Scudéry et de Mme de Sévigné, était si célébrée à son époque qu’on la surnommait la dixième Muse. À titre d’exemple de son talent, ce gentil madrigal :
"Alcidon, contre sa bergère,
Gagea trois baisers que son chien
Trouveroit plutôt que le sien
Un flageolet caché sous la fougère.
La bergère perdit, et, pour ne point payer,
Elle voulut tout employer.
Mais, contre un tendre amant, c’est en vain qu’on s’obstine.
Si des baisers gagés par Alcidon,
Le premier fut pure rapine,
Les deux autres furent un don"
Illustrations :
- Vue du Grand Chalet de Rossinière (photo Daniel Culsan)
- Détail d’une façade (photo Jack Varlet)
- Antoinette du Ligier de La Garde Deshoulières - Nationalmuseum Stokholm.
La légende rapporte qu’un jour, Alexandre le Grand demanda à Apelle, fameux peintre grec de l’Antiquité, de peindre Campaspe (ou Pancaste), sa concubine favorite, en pied et nue. Apelle s’exécuta, mais tomba amoureux de Campaspe. Frappé par cet amour inspiré par la seule beauté, le grand conquérant abandonna généreusement sa concubine au peintre.
Cette belle histoire, qui voit le pouvoir des armes s’effacer devant l’art, rencontra comme on peut s’en douter un vif succès parmi les peintres. Beaucoup ont dû regretter que le prince dont ils peignaient la jolie maîtresse n’ait pas la grandeur d’âme d’Alexandre. De très nombreux artistes du XVIIIe siècle imaginèrent la scène : Restout, Wigmana, Tiepolo, Vleughels, Trevisiani, Lagrénée, etc. Tous ont laissé libre cours à leur imagination, sans s’encombrer de réalisme historique... En voici quelques exemples :
- Francesco Trevisiani fait apparaître un peintre Renaissance, une servante très XVIIIe et Alexandre vêtu d’une cuirasse romaine, avec casque à haut cimier et manteau rouge. Campaspe est quant à elle assise sur un trône assez fantasmagorique. (Vers 1720, The Norton Simon Foundation, Padsadena).
- Nicolas Vleughels (1668–1737) s’essaya au sujet, avec cette toile de 1716 conservée au Louvre. Les personnages sont vêtu de façon hybride, mi-XVIIIe mi-Antiquité… Le décor reste très XVIIIe. Une prude Campaste, appuyée sur une canne, veille à cacher sa nudité.
- Giambattista Tiepolo (1725-1726). Cette œuvre, conservée au Musée des Beaux-Arts de Montréal, est intitulée Alexandre le Grand visite l'artiste lorsqu'il peint Campaspe. On notera les hallebardes des soldats, et Alexandre en Jules César couronné de laurier…
- En 1814, David s’attaquera également au sujet, avec une toile cette fois très dépouillée. Alexandre et Campaspe sont cette fois représentés dans une nudité héroïque bien dans l’esprit de l’époque (Palais des Beaux-Arts de Lille)
Francesco Tevisiani
Jacques-Louis David