On avait au XVIIIe siècle le goût du portrait historié. Il est
courant pour les jeunes femmes de l’aristocratie de se faire représenter en
élément (eau, Terre, feu) ou en déesses - Vénus, Diane, Cérès, Pomone… et
autres personnages antiques - Nymphe, Vestale, etc. Beaucoup choisirent de se
faire portraiturer en Hébé, la déesse
grecque personnifiant la jeunesse, la vitalité et la vigueur ; à Rome, on
appelait cette déesse Juventas. Ce choix présentait l’avantage pour le sujet de
se montrer vêtu d’une robe blanche légère à l’antique, voir avec un sein
découvert, sans contrevenir à la morale. D’ordinaire, le peintre ajoutait une
coupe, puisqu’Hébé servait le nectar aux dieux, plus quelques fleurs, et
parfois un aigle dans le ciel. Des artistes tels que Hyacinthe Rigaud, François
Hubert Drouais, Nattier, Pierre Gober, Élisabeth Vigée Le Brun, etc. nous ont
laissé de tels portraits en Hébé de femmes de leurs temps. Cette mode, commune
aux styles Rococo, néo-classique, et "grande maniera" de Nicolas
Poussin, perdurera au XIXe siècle.
Dans ses Réflexions
sur quelques causes de l’État présent de la peinture en France (1747),
Étienne La Font de Saint-Yenne décrit l’essor du phénomène en l’expliquant par son
effet flatteur sur la représentation des jeunes et jolies femmes. En clair,
bien des femmes qui ne sont plus d’une certaine jeunesse, trouvent là le moyen
de se rajeunir et de se faire admirer… et le peintre de se faire grassement
payer en reconnaissance !
Illustration : Jean-Marc Nattier, Charlotte-Louise de Rohan-Guéménée en
Hébé, 1738, huile sur toile, 125 × 97 cm, Versailles, châteaux
de Versailles et de Trianon. Tous les attributs de Hébé sont là : la coupe
de nectar, l’aigle, les fleurs dans la chevelure. La robe découvre plus qu’elle
ne couvre la poitrine, soulignée par cette rivière de perles qui attire le
regard vers son sein. Le titre exact de l’œuvre est Charlotte-Louise de
Rohan-Guéménée, princesse de Masseran et marquise de Crèvecoeur. Dite Mademoiselle
de Rohan, elle naquit en 1722, fille d'Hercule II Mériadec de Rohan-Guémené et
de Louise de Rohan. Elle avait donc 16 ans lorsqu’elle posa pour Nattier. En
1737, à 19 ans, Charlotte-Louise épousa Victor-Amédée-Philippe Ferrero Fieschi,
Prince de Masserano, ambassadeur d'Espagne à Londres (c’était un Italien
naturalisé espagnol). Ce titre de marquise de Crèvecœur que portait la belle
Charlotte-Louise lui allait comme un gant, ou comme une robe d’Hébé : son
mariage a dû être un crève-cœur pour bien des soupirants…
