Le magnifique portrait ci-dessous, datant de 1757, est considéré à
juste titre comme l’un des chefs-d’œuvre de Jean-Marc Nattier. Derrière
le visage de Manon, si beau et si touchant, toute une histoire…
Marie-Madeleine, dite Manon (1740-1776),
était la fille de Silvia Balletti (1701-1758), actrice de la comédie italienne.
Quelques mots au passage sur la mère, qui se prénommait en réalité Zanetta,
mais avait choisi le pseudonyme de Silvia, un personnage de la Commedia dell’arte.
Notons que Silvia fut une interprète majeure des pièces de Marivaux, qui en
écrivit plusieurs pour elle, dont, excusez du peu, Le Jeu de l'amour et du
hasard (1730). Silvia était aussi la meilleure amie d’un proche de Giacomo Casanova.
Sa fille Manon n’avait que dix ans quand Casanova la vit pour la première fois,
chez ses parents à Paris.
Plus tard, alors que Casanova avait trente-deux ans et Manon
dix-sept, il la revit et en tomba éperdument amoureux ; un amour réciproque.
Pendant trois ans, de 1757 à 1760, Manon habita chez lui, à Paris, rue
du Petit Lion (St-Sauveur). Elle était disposée à consentir beaucoup de
sacrifices pour lui : par exemple, alors qu’il était en prison pour
dettes, elle lui offrit deux superbes boucles d’oreille en diamant pour l’en
faire sortir. Comme il était souvent absent (en voyage, en prison, ailleurs…)
elle écrivait beaucoup à celui qu’elle appelait dans ses lettres "Mon
amoureux, mon mari, mon ami". On a conservé 42 lettres d’elle, qui
ont été publiées (Mon cher Casanova : lettre d’amour de Manon Balletti,
Paris : Maximilien Vox, 1945. - 58 p). Elles témoignent d’un amour
passionné :
"…Je vous aime, je ne puis le nier (que cet aveu
vous serve à m'aimer davantage et non pas à vous en glorifier, car, qu'y
gagneriez-vous ?). Je vous aime donc, enfin. Je vous ai vu partir avec le
chagrin que ressent un cœur, lorsqu'il est au moment de perdre ce qu'il aime ;
il a fallu contraindre ma douleur, ne la pas montrer à un tas de gens curieux
qui semblaient m'examiner avec une pénétration barbare..."
"…Je vous attends à présent, vous. Ah ! si vous
lambinez, vous devez sentir, mon cher ami, autant d'impatience que moi ; si
vous m'aimez, arrivez donc ! Je quitte la plume à chaque moment pour vous
attendre !... Ah ! vous voilà ! " (Avril 1757)
À la demande de Casanova, qui songeait à l’épouser, Manon rompit
ses fiançailles avec son professeur de clavecin. Cela n’empêchait pas l’illustrissime
cavaleur d’entretenir de multiples liaisons en parallèle…
Finalement, Manon comprit que leur relation était sans
avenir, et elle finit par épouser en 1760 un veuf de 55 ans, le célèbre
architecte Jacques-François Blondel, au grand regret de Casanova.
Manon mourut à l’âge de 36 ans, et Casanova s’accusa dans
ses mémoires d’avoir par son comportement abrégé sa vie.