jeudi 30 mars 2023

PORTRAIT DES FRANÇAIS (Poème de Fanny de Beauharnais,
1738-1813)

"Tous vos goûts sont inconséquents,

Un rien change vos caractères ;

Un rien commande à vos penchants,

Vous prenez pour des feux ardents

Les bluettes les plus légères.

La nouveauté, son fol attrait,

Vous enflamme jusqu'au délire.

Un rien suffit pour vous séduire

Et l'enfance est votre portrait.

Qui vous amuse vous maîtrise :

Vous fait-on rire, on a tout fait,

Et vous n'aimez que par surprise.

Vous n'avez tous qu'un seul jargon,

Bien frivole, bien incommode.

Si la raison était de mode,

Vous auriez tous de la raison."

 Les Français contemporains ont perdu cette frivolité si XVIIIe, me direz-vous, et n’ont plus rien de commun avec le tableau qui en est fait là ! Je suis bien d’accord avec vous ; quoi que…

 
Jean-Frédérique Schall (1752-1825), l’amour frivole, vers 1780-1789, Musée Cognacq-Jay, Paris. Une jeune femme s’est endormie dans un fauteuil, et comme cela arrive souvent au moins dans la peinture, ses vêtements ont glissé. Par la fenêtre, un homme soulève son fichu du bout de sa badine pour mieux contempler le spectacle. Cette toile est typique du style de Schall, connu pour ses éclairages subtils et ses teintes de porcelaine.


 


lundi 27 mars 2023

Quand Mme du Deffand déprimait…

Le XVIIIe siècle compta un grand nombre de poétesses (Mme Guibert, Mlle de Louvencourt, Mlle Poulain, Mme de Plat-Buisson…), la plupart oubliées. Il est vrai que leurs vers ont terriblement vieilli. Mme du Deffand (1697-1780), écrivaine et épistolière, est de celles qui ont survécu.

Née Marie de Vichy-Chamrond, issue de la vieille noblesse bourguignonne, la marquise du Deffand était célèbre pour sa beauté et son esprit. En 1718, elle épousa le marquis du Deffand, plus âgé qu’elle et qu’elle n’aimait pas. Elle prit donc un amant, qui l’introduisit dans les cercles en vue de la Régence, où elle rencontra Voltaire et la crème des libertins de l’époque, notamment ceux réunis par la duchesse du Maine au château de Sceaux (et qui formaient l’ordre des chevaliers de la Mouche à Miel – Cf. mon précédent post).
Mme du Deffand entretint une vaste correspondance, qui a été publiée. La vie joyeuse des salons ne l’empêchait pas de parfois déprimer…

"Quand l'humeur vient me prendre,

Et que je fais du noir,

J'écoute sans entendre,

Je regarde sans voir.

Si de ma léthargie

Je sors par un soupir,

Je sens que je m'ennuie

Ça fait toujours plaisir."

Illustration : Angelika Kauffmann (1741–1807). Portrait de 1767 de Louisa Leveson Gower en Spes, déesse de l’Espoir. Louisa Leveson Gower se maria l’année suivante avec Sir Archibald Macdonald, ce qui prouve bien qu’elle pouvait nourrir tous les espoirs ; à moins que l’espoir qui l’animait n’ait été justement d’échapper à ce mariage, d’où sa mine abattue…

 


 

vendredi 24 mars 2023

Les Chevaliers de la Mouche à Miel…

Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon (1692-1753), fille du Prince de Condé et de la princesse Palatine, avait épousé le duc des Maine, bâtard légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan. Elle le suivit (ou l’entraîna ?) dans divers complots qui leur valurent à tous deux des séjours en prison. Sa vie fut si romanesque que Dumas en fit un roman, Le chevalier d’Harmental.

Une fois plus ou moins retirée de la politique, la duchesse entretint dans son château de Sceaux une nombreuse troupe d’amis, dont des écrivains, savants et artistes. Elle donna des fêtes grandioses (parmi lesquelles les fameuses seize « grandes nuits de Sceaux », entre avril 1714 et mai 1715), avec poésies galantes, théâtre de société, bals, ballets, cantates, tragédie grecque et opéra-comique...

La duchesse du Maine était violente, voluptueuse, dotée d’un tempérament de feu. Elle était également de petite taille, comme toute sa famille. Ces caractéristiques réunies lui valurent divers sobriquets, telles la "poupée de sang", ou encore "la mouche à miel" (l’abeille). Prenant les moqueurs au mot, elle fonda en 1703 un ordre dit de la Mouche à miel, parodie des ordres de chevalerie ou maçonniques. Il comprenait 40 membres, comme la Comédie Française ! L’abbé Genest, Malézieu, Voltaire, Montesquieu, Mmes de Staël, de Rohan, de Croissy, du Deffand, Fontenelle, d’Alembert, le marquis de Pompadour, etc. en étaient membres.

On était reçu dans l’ordre au cours d’une cérémonie solennelle, en jurant de se soumettre aux instructions de la « dictatrice du palais enchanté de Sceaux ». Par exemple, on ne devait jamais quitter la danse, même si « vos habits sont percés de sueur et que l’écume vous vient à la bouche ». Tous les chevaliers arboraient une médaille en or suspendue à un ruban jaune citron. Sur l’avers, le profil de la duchesse entouré de la légende "L.BAR. D. SC. D. P. D. L. O. D. L. M. A. M." pour "Ludovise baronne de Sceaux, dictatrice perpétuelle de l'ordre de la Mouche à miel". Au revers, une abeille volant vers une ruche entourée de la devise "Piccola si, ma fa pur gravi le ferite" (Petite, mais elle fait de profondes blessures).

En cas d’infraction aux règles, la dictatrice distribuait de sévères punitions : c’est ainsi que Mlle de Moras qui avait commis le crime insigne d’égarer sa médaille, dut la récupérer cachée dans un pâté tout en chantant un poème de louanges à la duchesse...

 

-       La médaille de l’ordre.

-       Portrait de la duchesse par Pierre Gobert (1662–1744), Musée du Domaine Départemental de Sceaux.

-       Le château de Sceaux vers 1720. À l’origine propriété de Colbert, ce château fut rasé à la Révolution ; l’actuel château de Sceaux datant du XIXe siècle.

 

 


 

 



 

 


dimanche 19 mars 2023

Manon et Giacomo

Le magnifique portrait ci-dessous, datant de 1757, est considéré à juste titre comme l’un des chefs-d’œuvre de Jean-Marc Nattier. Derrière le visage de Manon, si beau et si touchant, toute une histoire…

Marie-Madeleine, dite Manon (1740-1776), était la fille de Silvia Balletti (1701-1758), actrice de la comédie italienne. Quelques mots au passage sur la mère, qui se prénommait en réalité Zanetta, mais avait choisi le pseudonyme de Silvia, un personnage de la Commedia dell’arte. Notons que Silvia fut une interprète majeure des pièces de Marivaux, qui en écrivit plusieurs pour elle, dont, excusez du peu, Le Jeu de l'amour et du hasard (1730). Silvia était aussi la meilleure amie d’un proche de Giacomo Casanova. Sa fille Manon n’avait que dix ans quand Casanova la vit pour la première fois, chez ses parents à Paris.

Plus tard, alors que Casanova avait trente-deux ans et Manon dix-sept, il la revit et en tomba éperdument amoureux ; un amour réciproque.

Pendant trois ans, de 1757 à 1760, Manon habita chez lui, à Paris, rue du Petit Lion (St-Sauveur). Elle était disposée à consentir beaucoup de sacrifices pour lui : par exemple, alors qu’il était en prison pour dettes, elle lui offrit deux superbes boucles d’oreille en diamant pour l’en faire sortir. Comme il était souvent absent (en voyage, en prison, ailleurs…) elle écrivait beaucoup à celui qu’elle appelait dans ses lettres "Mon amoureux, mon mari, mon ami". On a conservé 42 lettres d’elle, qui ont été publiées (Mon cher Casanova : lettre d’amour de Manon Balletti, Paris : Maximilien Vox, 1945. - 58 p). Elles témoignent d’un amour passionné :

"…Je vous aime, je ne puis le nier (que cet aveu vous serve à m'aimer davantage et non pas à vous en glorifier, car, qu'y gagneriez-vous ?). Je vous aime donc, enfin. Je vous ai vu partir avec le chagrin que ressent un cœur, lorsqu'il est au moment de perdre ce qu'il aime ; il a fallu contraindre ma douleur, ne la pas montrer à un tas de gens curieux qui semblaient m'examiner avec une pénétration barbare..."

"…Je vous attends à présent, vous. Ah ! si vous lambinez, vous devez sentir, mon cher ami, autant d'impatience que moi ; si vous m'aimez, arrivez donc ! Je quitte la plume à chaque moment pour vous attendre !... Ah ! vous voilà ! " (Avril 1757)

À la demande de Casanova, qui songeait à l’épouser, Manon rompit ses fiançailles avec son professeur de clavecin. Cela n’empêchait pas l’illustrissime cavaleur d’entretenir de multiples liaisons en parallèle…

Finalement, Manon comprit que leur relation était sans avenir, et elle finit par épouser en 1760 un veuf de 55 ans, le célèbre architecte Jacques-François Blondel, au grand regret de Casanova.

Manon mourut à l’âge de 36 ans, et Casanova s’accusa dans ses mémoires d’avoir par son comportement abrégé sa vie.

 


 

 


mercredi 15 mars 2023

Lequel des deux est le meilleur médecin ?

Il arrivait fréquemment au XVIIIe siècle qu’un peintre ne se voie pas commander un seul tableau, mais deux : les pendants étaient très à la mode. Les deux toiles, de même format, traitaient en général des sujets non pas forcément semblables, mais de même esprit. J’aime beaucoup ces deux-ci, de Jean-Baptiste Leprince (1734-1781) : " la leçon futile" et " le médecin aux urines" (1772-73). Ils ont en commun de montrer des scènes familiales privées, traitées avec humour. À noter que les vêtements et le cadre des deux toiles sont de style russe, Leprince ayant voyagé plusieurs années en Russie.

 
La première toile montre une jeune fille convoquée devant le tribunal familial : au sol, son coffret personnel, ouvert par ses parents, où elle cachait ses lettres d’amour et le portrait en miniature de son chéri. Sa mère, le portrait en main, lui fait les gros yeux et réclame des explications. Sa grand-mère lit sans vergogne l’une des lettres. Le père semble également mécontent, mais est-ce bien la réalité ? Une esquisse de sourire peut laisser penser qu’il est prêt à tout pardonner à sa fille. Celle-ci, très belle dans sa robe nacrée, affiche un air repentant… tout en s’emparant d’un nouveau billet que lui glisse discrètement sa servante…

La seconde toile nous montre un médecin, canne en main, ridiculement vêtu et enturbanné comme un prince d’Orient, examinant à la lumière de la fenêtre les urines d’une malade alitée. Il est grave et très concentré. Le jeune garçon et les deux femmes présentes ont du mal à contenir leurs sourires, c’est dire la confiance qu’on lui accorde. Notons que la malade - également souriante et au demeurant fort dépoitraillée - cache dans la ruelle du lit un galant occupé à lui baiser la main. On peut parier que des deux, c’est l’amant qui sera le meilleur médecin…
 


 

vendredi 10 mars 2023

Tatouage !

"Tatouer : Terme de Voyages, qui désigne l'usage où sont les Sauvages de l'Amérique de peindre, piquer, barioler leur corps de différentes figures et de diverses couleurs". (Dictionnaire de l'Académie française. Cinquième Édition. T.2, 1798).

"— Ce signe sur tes reins ?

— Un petit tatouage idiot, une mode de mon époque. Mais j’en sais assez sur ton siècle pour comprendre qu’il est impossible à tes yeux qu’une femme puisse se livrer à de telles pratiques de sauvages !"

(Extrait de Le voyage de Ziska, collection Incursions temporelles, aux Éditions du 38.)

Illustration : Louis Jean François Lagrenée dit l’Aîné (1725-1805), Mars et Vénus, allégorie de la paix (1770), Paul Getty Museum, Los Angeles.
Le sujet avait été proposé à Lagrenée par Diderot au Salon de 1767.


dimanche 5 mars 2023

La marchande d'Amours...

"La marchande d'Amours" est une fresque découverte en 1759 dans la villa d’Ariane, lors des fouilles archéologiques de l'ancienne ville de Stabies (Stabiae), située non loin du Vésuve. Elle est conservée au Musée Archéologique National de Naples. On y voit une marchande proposant à deux femmes des amours qu’elle tient par les ailes comme de la volaille !

La découverte de cette fresque au sujet charmant et amusant a rencontré un énorme succès au XVIIIe siècle.

En 1763, Joseph-Marie Vien (Montpellier 1716- Paris 1809) en fait un tableau, offert à la du Barry qui l’accroche dans son château de Louveciennes. Confisquée à la Révolution, la toile ira en 1837 orner l’antichambre de l’appartement de la duchesse d’Orléans, belle-fille de Louis-Philippe, au château de Fontainebleau. Il y est encore.

Diderot vit dans cette œuvre une sorte de manifeste du néoclassicisme. La toile s’inscrit en effet dans le goût "à la grecque"
(drapés des robes, pilastres cannelées…) qui dominera la période suivante, bien que par de nombreux traits, dont par exemple la délicatesse des carnations, elle reste très XVIIIe.

Jacques Firmin Beauvarlet (1731-1797, graveur français très apprécié en son temps), en fit une jolie gravure, et le sculpteur nancéen Clodion Adam un superbe bas-relief en terre cuite.

 

 




 

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