lundi 27 février 2023

Vénus frigorifiée...

Tant que l'hiver est là, parlons encore froidure...

« Sine Cerere et Libero friget Venus » (Sans Cérès ni Bacchus, Vénus est transie – le dieu Liber étant une forme archaïque de Bacchus). Cette phrase, on l’aura compris, signifie que sans bon vin ni bonne chère, le sentiment amoureux ne s’échauffe pas… Elle est extraite d’une comédie de Térence (190 av. J.-C. - 159 av. J.-C), Eunuchus, acte 4 scène 5, et était déjà proverbiale à son époque (elle le restera longtemps) :

  

Chremes :

Quis est ? Ehem, Pythias. Vah, quanto nunc formonsior videre mihi quam dudum !

Pythias:

Certe tuquidem pol multo hilarior.

Chremes :

Verbum hercle hoc verum erit : sine cerere et libero friget venus.

 

Chrémès :

Qui va là ? tiens, Pythias ! Oh ! Comme tu me parais à cette heure plus jolie que tantôt !

Pythias :

Ce qui est certain, c'est que toi, tu es beaucoup plus gai.

Chrémès :

Par hercule ! Le proverbe dit vrai : sans Cérès et Bacchus, Vénus est transie !

 

Il y avait là un sujet plaisant pour les peintres, y compris ceux du XVIIIe siècle. Ainsi cette toile anonyme d’un artiste du cercle de Boulogne l’Aîné, Vénus, Bacchus et Cérès. Il s’agit en fait d’un dessus de porte (d’une série de 4) de la salle à manger du château de Meudon, saisi à la Révolution et conservé au Louvre.

Par le passé, de nombreux artistes, parmi les plus grands, s’y étaient déjà essayés : ainsi Hendrik Goltzius (1558–1617) avec cette belle huile et encre sur toile, aux reflets de nacre et d’ivoire. Jean Mile s’est également emparé du sujet, et sa trilogie Vénus Cérès et Bacchus, échange des regards chargés de douces promesses ; sûr de son succès, Cupidon virevolte joyeusement.

On comprendra que sur ces œuvres, Vénus, entourée de Cérès et Bacchus, ne saurait avoir froid ; la présence de Cupidon très en forme atteste de cette chaude température. Il en va tout autrement sur la toile de Rubens : assise sur un drap rouge, Vénus est frigorifiée, et on croit voir trembler ses chairs opulentes. Assis sur son carquois inutile, le petit Cupidon est également transi ; Bacchus, à peine visible dans les ténèbres, n’est pas en meilleur état. Cérès n’étant pas là, les conditions nécessaires à l’échauffement des sens ne sont pas réunies. Le proverbe de Terence prend alors tout son sens, et dans cette triste situation, Vénus inspire davantage la pitié que l’amour.


Illustrations :

-       Hendrick Goltzius - Sine Cerere et Libero friget Venus, c. 1600-1603 - Philadelphia Museum of Art.

-       Jean Miel (1599-1663, peintre flamand actif en Italie) Vénus, Bacchus et Cérès, Musée du Louvre.

-       Pierre Paul Rubens (1577-1640), Venus frigida, 1611, Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers.

-       Cercle de Boulogne l’Aîné, premier quart du XVIIIe siècle, Musée du Louvre.

 

 

Pierre Paul Rubens
 


Cercle de Boulogne l’Aîné

Jean Miel

Hendrick Goltzius

dimanche 26 février 2023

La regina nepalese

Prochainement, sortie de mon roman la reine népalaise en langue italienne chez O Barra O Edizioni.

https://www.obarrao.com/libro/9788869681264 

In una remota regione del Tibet, un giovane archeologo europeo viene condotto da un’affascinante nomade in una grotta dove fa una scoperta straordinaria...

 


 


mercredi 22 février 2023

Êtes-vous un "cordon bleu" ?

L’origine de l’expression française "cordon bleu" est incertaine. Certains estiment qu’elle viendrait du fait que les cuisiniers italiens se servaient de cordons bleus pour attacher les deux escalopes entre elles, d’où le nom de la préparation. Un terme qui s’applique à présent à tous les bons cuisiniers.
Au XVIIIe siècle, le sens de l’expression était très différent : on appelait cordons bleus ceux que le roi avait faits chevaliers de l’Ordre du saint Esprit, le plus élevé de l’Ancien Régime. La croix de l’ordre était habituellement portée suspendue à un large ruban de couleur moirée bleu ciel, de l'épaule droite à la hanche gauche. Cordon-bleu se disait des Chevaliers eux-mêmes : "c'est un Cordon Bleu". Ou encore : "ll se trouva en cette assemblée quatre ou cinq cordons bleus".
Un subtile glissement de sens entre la croix et l’escalope semble s’être opéré au cours du XIXe siècle… En tout cas, la silhouette du comte de Clermont ci-dessous semble une bonne synthèse entre distinction royale et plaisirs de la table !
Illustrations :
- Louis de Bourbon, comte de Clermont, par François-Hubert Drouais (1727-1775) (Paris, Musée de la franc-maçonnerie).
- Une escalope cordon bleu (Wikipedia).
 


 

 

jeudi 16 février 2023

Les hasards de la vertu...

Avec son bonnet de guingois, son air un peu surpris et un brin narquois, je trouve cette jeune fille assez amusante. Il s’agit d’un portrait (peint vers 1735, Yale Center for British Art) par l’artiste britannique Joseph Highmore (1692-1780).
Le portrait était avec la peinture d’Histoire, la spécialité de Joseph Highmore, artiste très célèbre en son temps, qui fut aussi illustrateur et même essayiste. Marié à la poétesse Susanna Highmore, le couple eut quinze enfants.
Highmore illustra le roman épistolaire de Samuel Richardson "Paméla ou la Vertu récompensée" (1740), roman édifiant dont l’héroïne tente de se faire épouser par un noble tout en résistant à ses assauts… et à ses propres tentations. Cette gravure de Hubert-François Gravelot (édition française de 1742 – source : Paris Musées), illustre un épisode particulièrement torride du roman : le jeune homme embrasse la jeune fille dans le cou ("il me baisa deux ou trois fois avec une terrible ardeur…"). Circonstance aggravante, la scène se déroule devant une tapisserie illustrant l’édifiante histoire de la nymphe Daphné transformée en laurier pour échapper aux ardeurs d’Apollon !
Succès international, traduit en plusieurs langues, porté au théâtre, "Paméla ou la Vertu récompensée" a été l’un des ouvrages les plus vendus de son temps, ce qui lui valut railleries et parodies. Le marquis de Sade y fera écho, en donnant à l’un de ses ouvrages libertins le titre "Justine ou les malheurs de la vertu"…



samedi 11 février 2023

L'amant caché !

Les peintres du XVIIIe siècle aimaient titiller le spectateur, en ne racontant qu’un bout d’une histoire. Ils parsemaient aussi leurs toiles d’indices, que le regard aigu de leurs contemporains savaient parfaitement déchiffrer. Ainsi, cette scène de boudoir de Jean-Baptiste Le Prince : une jeune femme en tenue légère, allongée sur un lit en bataille, semble affolée à la vue de quelqu’un, hors cadre, qui entre dans la chambre. Le petit chien se précipite pour faire la fête au visiteur : c’est la preuve qu’il lui est familier. Le fauteuil renversé accroît encore la tension dramatique de la scène. Détail troublant : on remarque deux tasses sur la table à côté de la chocolatière : la jeune femme ne serait-elle pas seule ? On imagine une situation scabreuse, sans en avoir la preuve réelle…
En 1785, Le Mire a tiré de cette toile une gravure (en inversant l’image) et met les points sur les i : à gauche, apparaît la tête du jeune amant, caché dans la ruelle du lit, qui explique l’affolement de la jeune femme. Ce détail (qui n’en est pas un) ne figurait pas sur la toile. Et tout s’explique clairement : comme on s’en doutait, c’est bien le mari, que son épouse n’attendait pas, qui vient d’entrer dans la chambre à ce moment particulièrement mal choisi…
Ci-dessous :
- La Crainte, huile sur toile de 1769, par Jean-Baptiste Le Prince (Metz 1733 - Saint-Denis-du-Port 1781). Collections du Toledo Museum of Art (Le Louvre en possède une copie).
- Aquatinte, gravure par Noël Le Mire (1724-1801).
 


 

mercredi 8 février 2023

Le yak aux cornes d'or.

Vient de paraître ! 

Le yak aux cornes d’or, un roman d’aventures dont l’action se situe au Tibet, vers le milieu du XIIIe siècle. Il prend toutes libertés avec l’Histoire, mais en respecte la trame générale.

La vallée de la Rivière Turquoise est divisée en trois royaumes ; deux sont bouddhistes, le troisième est resté fidèle au vieux chamanisme du Tibet. Chacun des trois rois cherche à prendre l’ascendant sur ses voisins, par la ruse ou la violence. Trahisons, assassinats et enlèvements se succèdent, des complots se trament, des passions se nouent. Le roman fourmille de personnages, parmi lesquels deux se détachent Péma, jeune abbesse réincarnée du monastère de la Conque Blanche, et Sambou, fils du roi des Genévriers-de-Perles, évincé de la succession royale par un cousin fourbe et corrompu. Sambou devra fuir la vallée pour sauver sa vie. Sa revanche sera étonnante…

Le roman est disponible depuis quelques jours, sous forme numérique ou papier, à l'adresse suivante:

https://www.amazon.fr/dp/B0BV2F4B2F 




 

 

lundi 6 février 2023

Alerte enlèvement !

"(…) elle ne fit pas attention à la voiture arrêtée à hauteur de la boutique, ni aux deux hommes campés devant. Elle ne comprit pas ce qui lui arrivait quand des mains l’empoignèrent tandis qu’on lui passait un sac sur la tête. Sans même avoir le temps d’appeler à l’aide, elle fut jetée dans la voiture qui démarra sèchement, dans un claquement de fouet"

Je me suis amusé à placer une scène d’enlèvement dans mon roman Le voyage de Ziska (Éditions du 38),  https://www.amazon.fr/voyage-Ziska-Incursions-temporelles-ebook/dp/B082316PT2/ref=sr_1_1?_encoding=UTF8&keywords=Le+voyage+de+Ziska+Bernard+Grandjean&linkCode=xm2&qid=1574963443&s=books&sr=1-1 en clin d’œil à la littérature du XVIIIe siècle. L'exemple le célèbre est peut-être celle de l’enlèvement de Clarissa Harlowe par l’ignoble Lovelace, dans le roman épistolaire éponyme de Samuel Richardson, un auteur que Jane Austen admirait beaucoup (roman paru à Londres 1748, traduit en français par l’abbé Prévost en 1751). Clarissa, poussée par sa famille à accepter un riche, mais odieux prétendant, s'enfuit avec le libertin Lovelace, qui a conçu pour elle une ardeur d'autant plus forte que Clarissa lui résiste. Lovelace finira par la violer après l’avoir droguée, afin de la forcer à l’épouser. Bien entendu, dans mon roman, de telles horreurs n’arrivent pas à Franziska, jeune fille du XXIe siècle égarée au XVIIIe ! Face au comportement abominable de Lovelace, Clarissa refuse de l’épouser, et meurt de maladie. Le coupable mourra volontairement en duel afin d’expier sa faute.

Clarissa est emblématique du genre "roman sensible", au même titre que L'Ingénu de Voltaire, Les Liaisons Dangereuses de Laclos ou encore La Nouvelle Héloïse de JJ Rousseau. On y retrouve des situations pathétiques et des stéréotypes tels que la jeune fille innocente, le grand seigneur libertin, la rédemption par l'amour et même des scènes sensuelles. L’entrecroisement du vice et de la vertu est une révélation pour le lecteur de l’époque ; l’analyse psychologique des personnages fait de Richardson l’un des fondateurs du roman moderne, et de Clarissa un roman majeur de la littérature britannique.

 




 

Illustrations :

Clarissa Harlowe par Sir John Everett Millais (1829-1896)

Lovelace se prépare à enlever Clarissa, par Francis Hayman (1708-1776)

L’enlèvement de Clarissa Harlowe, par Edouard Louis Dubufe (1819-1883)


La Société de la Culotte

Le XVIIIe siècle a vu naître un très grand nombre d’ordres farfelus et de sociétés bouffonnes, dont les objectifs étaient...